Le XIXe siècle : la grande transformation de Sens
Le XIXe siècle est une période de transformation profondes pour Sens. La ville se modernise et se transforme rapidement.
La municipalité a joué un rôle crucial dans l’évolution urbaine de Sens en lui donnant un nouveau visage : démolition de la muraille qui permit d’ouvrir la vieille ville sur les faubourgs, création du cimetière communal (1803), construction de la gare de Sens (1849), démolition de l’Hôtel-Dieu et édification du marché couvert, création du square Jean Cousin et aménagement des Promenades (1882), construction de la Caisse d’épargne (1890), création des grands boulevard circulaires (boulevard du Centenaire en 1889 ; de la Liberté en 1893 et de la Convention en 1900).
De nouveaux équipements publics voient le jour. Des écoles sont construites, à l’instar de l’actuelle école de la rue Rigault (1862 puis 1879) ou de l’actuelle école Gaston Marnot (1874). L’actuelle école Charles Michel voit le jour en 1899.
Signe de cette rapide transformation, la population de Sens croit rapidement tout au long du XIXe siècle, passant de 10 514 habitants en 1800 à 14 694 en 1901, soit une augmentation de 50% en un siècle.
Le projet de construction d’un nouvel Hôtel de Ville, initié dans les années 1890, marque une étape décisive dans l’affirmation de l’identité urbaine de Sens.
La construction de l'Hôtel de Ville
En 1895 est créée une commission spéciale au sein du conseil municipal. Elle a pour mission de rédiger un cahier des charges et de préparer le concours d’architecture.
Le futur hôtel de ville devait abriter les salles des fêtes, des mariages et du Conseil municipal, le bureau du maire, ceux des adjoints, des secrétaires en chef et d’Etat-civil, mais aussi la Voirie, l’Assistance publique, la Recette municipal et les Contributions. Signe de modernité et de confort, le bâtiment devait également être éclairé au gaz et doté de WC et d’urinoirs. La dépense totale ne devait pas dépasser 550 000 francs, hors honoraires de l’architecte, l’ameublement et les appareils d’éclairage.
Au total, parmi les trente-neuf projets examinés par le jury, c’est celui élaboré par Joseph Dupont et Jules Poivert qui est retenu.
Architecturalement, ce projet présente une complexité volumétrique et stylistique, mêlant des éléments de la Renaissance française et classique. L’entrée principale, située à l’intersection de la rue de la République et de la place Drapès, mène à une rotonde d’honneur qui distribue l’accès aux différentes ailes du bâtiment. Les salles de réception, situées au premier étage, sont traitées avec magnificence, reflétant le style classique dans sa splendeur. La toiture, élément marquant du projet, comporte des lucarnes, des cheminées élevées, et un beffroi couronné par la statue du Gaulois.
La pose de la première pierre a lieu le 21 avril 1901.
Tout au long du chantier, la ville fait face à divers défis, notamment l’approvisionnement en matériaux et la faillite de certains entrepreneurs ou des changements esthétiques et fonctionnels, comme l’agrandissement de la salle du Conseil municipal et l’adaptation de la sculpture extérieure pour obtenir l’effet désiré.
Les coûts estimés ont augmenté au fil du temps, passant de 750 000 francs à un total de 903 844,68 francs, couverts par un emprunt et des fonds municipaux.
Symbole de la République triomphante
Tout dans cet édifice symbolise la République, le progrès et la liberté. Sa construction est à replacer dans le contexte politique marqué par un durcissement de la relation entre l’Église et l’État qui aboutira en 1905 à la loi de séparation. Aussi bien par ses dimensions que par ses ornementations extérieures et ses décorations intérieures luxueuses, il s’inscrit en faux de l’histoire religieuse de la ville et de son édifice religieux le plus emblématique, la cathédrale.
La statue du Gaulois, qui trône au sommet du fronton est emblématique de cette démarche marquée par un fort anticléricalisme. A rebours du passé religieux et prestigieux de la ville, c’est un gaulois, un païen, symbole de la grandeur de Sens avant qu’elle ne devienne un des centres religieux de la chrétienté, qui est choisi pour incarner l’esprit municipal sénonais.
Les symboles républicains sont nombreux, aussi bien sur la façade que dans les différentes salles. La fonction de l’édifice, celle de “maison du peuple” est soulignée par la présence répétée des armes de la ville et la devise de la République sur le fronton.
« Votre belle cathédrale, qui est l’aînée de celle de Paris, est le monument du passé ; votre hôtel de ville est le symbole du présent et de l’avenir. La véritable inauguration aura lieu dans quelques jours, quand le peuple y tiendra ses assises et y fera connaître ses volontés en déjouant tous les complots, ici, comme dans toute la France ».
(Extrait du discours de Camille Pelletan le 3 avril 1904. Des élections municipales ont eu lieu en mai 1904, ce qui explique la tonalité très politique du discours du ministre radical-socialiste, dans un contexte marqué par une vive opposition entre la République et l’Eglise)
La statue du Gaulois
La statue du Gaulois, envisagée dès 1899 par les architectes Dupont et Poivert pour le campanile de l’hôtel de ville, est réalisée en cuivre par le sculpteur renommé Anatole Guillot. D’un coût initial de 8000 francs, elle a bénéficié d’une suibvention de 800 francs de l’Etat.
Posée le 11 avril 1903, la statue, rapidement surnommée par les Sénonais “le Brennus de l’Hôtel de Ville”, en hommage au chef gaulois Sénon qui envahit Rome, est considérée comme une œuvre digne d’admiration.
Brennus, le chef gaulois qui fit trembler Rome
Au IVe siècle av. J.-C., la migration des Gaulois Sénons, sous la conduite de leur chef Brennus, vers l’Italie centrale déclencha un conflit majeur avec la République romaine. Attirés par les terres fertiles et les richesses de la région, les Gaulois affrontèrent les Romains lors de la désastreuse Bataille de l’Allia le 18 juillet 390 av. J.-C., conduisant à la prise de Rome, à l’exception du Capitole.
Alors que les Gaulois tentaient de prendre la citadelle romaine en pleine nuit, ils furent trahis par le bruit des oies sacrées de Junon, qui vivaient dans le temple. Ces oies, normalement silencieuses, se mirent à cacarder vigoureusement, réveillant ainsi les défenseurs romains. Grâce à cet avertissement inattendu, les Romains réussirent à repousser les envahisseurs et à sauver la ville.
Un autre épisode marquant de cette invasion fut lorsque Brennus exigea un lourd tribut en or pour quitter la ville, au terme d’un long siège. Pendant la pesée de l’or, les Romains se plaignirent d’une balance truquée, à quoi Brennus répondit en jetant sa propre épée sur la balance et en proclamant “Vae victis !” (Malheur aux vaincus), soulignant la brutalité et l’inexorabilité de la conquête.
Cet événement historique marquant entraîna une réévaluation des stratégies militaires et des défenses de Rome, influençant profondément la politique et la culture romaines et laissant une empreinte durable dans la mémoire collective.
Le décor intérieur de l’Hôtel de Ville
En empruntant l’escalier d’honneur, on accède à la salle des fêtes, qui impressionne par ses dimensions, sa cheminée en marbre jaune, et ses riches décorations. Le plafond est orné d’œuvres représentant La ville de Sens, entourée de figures allégoriques de l’Yonne et de la Vanne, ainsi que des symboles de la Paix et de la Guerre. Les décors illustrent également la musique, la fête, et des scènes locales enrichies de motifs traditionnels.
Le salon d’honneur, ou Rotonde, est décoré de panneaux évoquant l’Aurore, le Jour, et la Nuit. Six autres panneaux symbolisent les arts, la science et l’agriculture, tandis que la coupole surplombe cet espace autrefois dominé par une banquette en velours rouge et une statue de Daphnis.
La salle du Conseil est décorée de peintures historiques, dont l’œuvre principale de Scherrer qui illustre la remise de la Charte de 1189 par Philippe-Auguste. Le décor est enrichi de scènes allégoriques et de représentations de la Déclaration des droits de l’homme. Enfin, la salle des mariages, dédiée au mariage civil, est ornée de symboles de liberté, égalité, fraternité et d’œuvres illustrant des moments historiques comme le premier mariage civil de Sens en 1792, après la Révolution française.
Lucien Cornet, maire bâtisseur
Né en 1865 à Dixmont, fils de Louis Cornet, un commerçant originaire de la Somme, et d’Honorine Amblat de Dixmont, Lucien Cornet a débuté sa carrière professionnelle dans le commerce des engrais avant de devenir représentant à Sens pour la société Bargy en 1889. Son engagement dans la vie locale, notamment par la création d’un syndicat agricole, lui a permis de tisser des liens étroits avec la communauté rurale, ce qui a été déterminant pour son ascension politique.
Élu maire de Sens à 28 ans, en 1892, il a rapidement montré son aptitude à naviguer dans le paysage politique complexe de l’époque. Sa capacité à représenter les intérêts ruraux, son engagement dans le syndicalisme agricole, ses convictions anticléricales et son appartenance à la loge maçonnique de la Concorde ont joué un rôle clé dans son succès.
Son parcours politique est marqué par une série de mandats : maire réélu plusieurs fois, député en 1896, sénateur en 1909, et conseiller général en 1910.
Jusqu’à son décès accidentel en 1922 à l’âge de 57 ans, il a fortement marqué la ville de son empreinte. On lui doit notamment la construction de l’hôtel de ville, l’érection du monument aux morts, mais aussi la construction du vieux pont et le percement de l’artère principale de l’île d’Yonne (l’actuelle avenue Lucien Cornet). Il a également présidé à la construction de l’hôtel de la Caisse d’épargne, mis en place le système des égouts et l’adduction d’eau, créé des écoles et un collège pour l’enseignement féminin. Il contribua à la préservation du patrimoine sénonais en organisant le musée et acquérant tous les immeubles ecclésiastiques confisqués : archevêché, séminaire… qu’il préserva ainsi de l’abandon. Autre héritage de Lucien Cornet, et non des moindres, il a relancé la Foire de Sens en 1922 !